mercredi 10 décembre 2008

Confidences de chauffeur de ministre

Voici une rubrique extraite du quotidien congolais "Le Potentiel". Le plus souvent drôle, elle est un des regards les plus caustiques que l'on trouve dans la presse sur l'actualité en RDC.

Succulent.


S.I.D.A : Salaire et Sachet Insignifiants Difficilement Acquis… Branle-bas au sein du Palais du peuple ! Non pas à l’intérieur de l’hémicycle où les parle-menteurs s’étripent et s’escriment autour des chiffres et des statistiques budgétaires, mais simplement dans le parking. Cela fait bien des heures que j’ai déposé ici, au Palais du peuple, mon patron, le Ministre des Affaires stratégiques (à prononcer avec respect…). Tout au long du parcours entre la résidence ministérielle et le parlement, vautré au fond de la voiture officielle, calculette en mains et stylo en bataille, mon patron monologue avec les chiffres. Manifestement, il y a belle lurette que mon patron de Ministre a exercé le calcul mental et les mathématiques modernes, puisque, à l’entendre marmonner à haute voix et pester, on comprend finalement que ses tables de multiplication et d’addition semblent déréglées par celles de la division et de la soustraction. Manifestement donc, les prévisions de budget préparées par son cabinet semblent ne pas le satisfaire : mon pauvre Ministre n’a pas eu le temps de contrôler attentivement ces fameux chiffres avant la défense au Parlement. La preuve en est qu’à chaque fois, entre deux vérifications, mon patron jure comme un boucher et envoie au diable son directeur de cabinet, comptable de ces prévisions funestes. De temps en temps même, au comble de l’exaspération, mon patron de ministre se tourne vers moi et me demande à brûle-pourpoint : « Combien font 5 milliards FOIS 12 mois FOIS 5 millions de fonctionnaires PLUS 50.000 retraités DIVISES PAR 11 provinces MOINS 150.000 agents fictifs, avec 10 % de commissions ?? »

Bien entendu, au bougre de chauffeur que je suis, il est impossible de répondre à des calculs aussi sophistiqués. Alors je fais semblant de regarder ailleurs et fais la sourde oreille. Alors mon patron de Ministre se défoule et peste sur moi, en me traitant de « cancre » et de « potache ».

Il en a été ainsi toute cette semaine sur l’itinéraire résidence-Palais du peuple. Un vrai chemin de croix ! Un chemin toujours pavé de chiffres si compliqués, et parsemé de statistiques si illisibles que mon patron de Ministre en a perdu la voix, à force de pester, et sa langue maternelle, à force de se creuser la cervelle en vain. J’ai compris, à entendre le monologue courroucé de mon patron, que les prévisions budgétaires concoctées par le cabinet ressemblaient à de la science-fiction et à de la littérature fantasque, avec des chiffres à donner l’insomnie et le vertige même à un Prix Nobel !

…Mais ce n’est du tout de tout cela que je devrais parler : je voudrais décrire l’ambiance en dehors de la salle parle-menteuse, dans notre parking de chauffeurs. Il y a en effet rassemblés autour d’une auto-radio, tous les chauffeurs des Ministres, y compris celui de Ngwashi-premier. C’est d’ailleurs autour de son auto-radio que nous tous, chauffeurs officiels, suivons les débats parle-menteurs. Une vraie ambiance de « parlement-debout » ! A chaque fois que là-bas, dans la salle, un Ministre est interpellé, ici au parking, nos regards et notre attention se portent sur son chauffeur. Et il faut voir comment, à chaque trébuchement, à chaque maladresse de tel ou tel Ministre devant les objections agressives des parme-menteurs interpellateurs, comment l’angoisse étreint le visage de tel ou tel de son chauffeur… Comme un supporter de foot angoissé par les moindres faits et gestes de « son » joueur »… Lorsque dans la salle, l’un ou l’autre Ministre s’en sort honorablement, comme par exemple celui chargé des Ressources Poissonnières, ici au parking le public des chauffeurs applaudit comme s’il avait marqué un but ! Lorsqu’au contraire, comme il est arrivé fréquemment, par exemple avec le Ministre chargé de la Prospérité Nationale, un Ministre est recalé jusqu’à perdre la parole, sollicitant du coup de s’exprimer en dialecte maternel pour être compris, des huées fusent ici dans ce « parlement-debout » du parking, comme contre un joueur qui a raté un pénalty.

Jusqu’à présent, là-bas dans la salle, mon patron de Ministre n’a pas encore été interpellé. J’ai quelques appréhensions sur sa prestation, à voir comment ses prévisions budgétaires semblent avoir été bâclées. Pour aujourd’hui donc, la journée s’est achevée sans vainqueur ni vaincu. Et le match-retour est reporté au lendemain. Epuisés, mon patron de Ministre et moi, nous sommes de retour à la résidence.

Or, voilà qu’en arrivant devant le portail, la nuit tombante, nous avons été surpris de voir des tas de banderoles et de graffiti pavoisant les murs de la résidence de mon patron de Ministre. Malgré l’obscurité, on pouvait y lire : « PANIER DE LA MENAGERE OU SACHET DE LA MENAGERE ? ». « CONTRE LE S.I.D.A : Salaire Insuffisant Difficilement Acquis !! ».

Yoka Lye

andreyokalye@yahoo.fr


Merci à papa RV.

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