lundi 4 mai 2009

Confidences de chauffeur de ministre

1er mai : fête et grippe porcines

Par  Le Potentiel

J’ai coutume, certains jours de fête, de flâner dans le quartier pour faire des civilités aux «ban’a membres», voisins riverains, et s’enquérir auprès d’eux des programmes éventuels de beuverie et de cuiterie. A chaque fois c’est pareil : je m’arrête au coin de ma rue, devant la baraque du fou du quartier qui a établi là ses pénates depuis des lustres et que personne, pas même le bourgmestre, ne pense déloger… Et toujours je le surprends, ce fou joyeux, dans la même posture, en train de griffonner sur du vieux papier d’un vieux cahier d’écolier mille fois utilisé. Griffonner quoi, personne ne sait ! Lorsqu’en effet, il m’arrive de lui demander ce qu’il écrit ainsi avec tant de fièvre, il me répond la même chose  d’un air grognon: «Fainéant, tu vois bien que je travaille, non ?» Ah ! Que le comprends, ce vieil instituteur de l’Etat réduit à cet état, faute de ressources et de repères ! Le vieil instituteur a certes perdu le nord, mais pas les bonnes pratiques de la craie et du tableau. Une fois, je l’ai supplié de me montrer un petit bout de sa mystérieuse littérature ; il a hésité puis m’a exhibé juste un tout petit bout de page. J’ ai lu sur toute la longueur et la largeur de cette page un seul mot mille fois repris comme une obsession, comme ces devoirs qu’on imposait en punition à l’école primaire ; oui, un seul mot : « Mbudi, Mbudi, Mbudi, Mbudi… ». (N.d.l.r.: accord social de Mbudi)

A chaque fois, en m’arrêtant devant ce vieux fonctionnaire obsédé et victime collatérale du « Mbudi », je lui apporte quelques victuailles préparées par ma femme. Aujourd’hui, c’était, je crois, du porc grillé assorti de patates douces. Mon interlocuteur a remercié (indice d’une bonne vieille éducation !), a ouvert la petite marmite, a flairé puis a secoué négativement la tête. « Non pas de ça, m’a-t-il dit en retroussant le nez et les babines. Pas de viande porcine : du poison ! » J’étais atterré : comment cet homme perdu dans les nuages de la démence avait-il connaissance du dernier fléau à la mode : la grippe porcine, la fièvre américaine ? Décidément, radio-trottoir fonctionnait bien dans le quartier. En rentrant, penaud, auprès de ma femme pour lui restituer son cadeau empoisonné, j’ai expliqué ce qui m’était arrivé avec le fou du quartier. Ma femme en était toute confuse et en avait les larmes aux yeux… Elle a aussitôt refait un autre colis, cette fois avec des légumes «kikalakassa», les testicules de chauve-souris et le croupon de poulet. Et pour nous faire bien pardonner de notre indélicatesse, ma femme a joint une bouteille de «whisky» indigène. Mon hôte a dû apprécier le geste puisque, pour une des rares fois, il a esquissé un sourire énigmatique. Il m’a même invité à partager le repas avec lui dans sa mansarde. Pour être poli jusqu’au bout, j’ai goûté un peu de poulet, un peu de poils de chauve-souris et un peu de « lotoko » indigène.

Alors mon fou a vraiment ri, et, entre deux lampées de lotoko, s’est remis à écrire avec le même sérieux et la même fébrilité dans son vieux cahier. Je ne sais pourquoi, mais j’étais fort ému, fort malheureux en me disant que le monde était injuste : voilà quelqu’un qui avait sans doute fait de bonnes études, mieux que moi, pauvre chauffeur, et qui en était réduit à mourir au petit feu de la folie douce parce que «Mbudi», cette grosse arnaque républicaine l’avait condamné… Plus d’une fois d’ailleurs je me suis livré ainsi à mon patron, le Ministre des Affaires stratégiques (à prononcer avec respect…). Et plus d’une fois, mon patron m’a dit de s’en remettre au destin et de faire confiance à la justice de notre démocratie. Plus d’une fois, parce que je jetais à mon patron un regard sceptique à la suite de sa réponse sibylline, il m’a dit de ne pas dire trop haut ce que je disais là au risque de devenir fou moi-même, victime collatérale de la déprime générale… … Je me suis ensuite dirigé vers le nganda-bistrot au coin du quartier ; et là il y avait foule : on distribuait les pagnes de la soi-disante… Journée soi-disante… Internationale du soi-disant …Travail. J’y ai reconnu tous les ambianceurs, cuiteurs, ndomboleurs du quartier, tous fonctionnaires en grève chronique et en chômage déguisé derrière la bongolation, le boulot de taximan, le trafic des friperies, les navettes à Gouandzo.

Finalement, moi aussi, je me suis jeté dans la foule et la bousculade, et je m’en suis tiré avec deux pagnes : l’un pour ma femme, et l’autre pour notre fou du quartier, le seul à être vraiment convaincu des vertus du travail …bénévoleur.


Yoka Lye 

Andreyokalye@yahoo.fr

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