Pour l'instant, le franc a baissé. Mais le dollar monte et descend, faisant frémir la très fragile économie kinoise et donnant à écrire à notre chauffeur de ministre!
Dollar Mata-Kita !
(Jouer à monter et descendre; petite racine aux vertus aphrodisiaques)
Par Le Potentiel
Nous sommes sortis de 2008… O.K. Nous sommes entrés en 2009… K.O ! C’est vraiment la gueule de bois après les cuiteries, les ambianceries et les débaucheries de fin d’année. Comme on sait, 2009 a mal démarré pour mon bailleur de parcelle, l’honorable parle-menteur : il a été pris la main dans le sac, avec 12 autres complices en train de tripatouiller les chiffres de la Société E.S.C.R.O.C (Entreprises Socio-Culturelles des Réalisations et des Opérations Charitables), en vue de gonfler outre mesure les budgets d’interventions du gouvernement. Les 12 apôtres parle-menteurs et bénévoleurs ont été mis à la touche, aux bons soins du parquet, afin de justifier les matabiches et autres pots-de-vin reçus. Pour le moment, notre bailleur de parcelle, à la touche et à l’ombre, médite les vicissitudes de la vie. Il est… K.O !
K.O, c’est aussi le cas du franc congolais dollarisé, pris dans la tourmente et la danse mata-kita-mata. Mon patron, le Ministre des Affaires stratégiques (à prononcer avec respect…) en est tout retourné et tout perplexe. I l s’en est vraiment rendu compte hier quand il m’a demandé de lui acheter son journal quotidien. J’ai couru vers tous les kiosques autour du cabinet ministériel, rien ! Pas de journaux ! J’ai fait le tour de la ville, rien ! C’est alors que j’ai appris, en passant à côté du grand marché, que la plupart des échoppes étaient fermées. Motif : l’emballement ndomboleur (ndlr: ndombolo: dance à connotations sexuelles s'inspirant des gorilles) et vertigineux du franc dollarisé. K.O, les étalages des légumes kikalakasa. K.O, les croupions de porc-épic. K.O, les testicules de chauves-souris. K.O, les ganglions de bouc. K.O, la bière Ngwasuma. K.O, la bière Tonton. K.O, les londonniennes !
Et voilà tous les bongolateurs (Ndlr: Bongo : argent) étourdis devant ce dollar congolisé, complètement débraillé. … J’ai fini par mettre la main sur le journal ! Mais sans doute au vu de la voiture officielle et de la bedaine arrondie du chauffeur de Ministre que je suis, le petit vendeur de journaux s’est mis à jouer aux enchères et à la spéculation. Le journal de 24 pages se vendait désormais à 1000 francs congolais … la page ! Donc : 1000 FC x 24 pages = 24.000 francs congolais ! Soit 30 dollars au nouveau taux de 80… Le petit vendeur n’en démordait pas : 24.000 FC ou 30 dollars pour les 24 pages du journal. A prendre ou à laisser! J’étais …K.O !
J’ai alors téléphoné à mon patron de Ministre pour lui faire part de tous ces dérapages de la monnaie sur le marché, et singulièrement du tarif en ascenseur de son journal. Mon patron semblait …K.O ! Je l’ai entendu, au bout du fil, rugir comme un lion constipé, et déblatérer des jurons obscènes en sa langue maternelle (que je n’ose pas répéter ici par respect pour lui…). Je ne sais pas contre qui et contre quoi pestait mon patron de Ministre : contre le petit vendeur de journaux ? Contre les bongolateurs ? Contre les officines indo-pakistano-sino-libano-maliennes ? Contre la « Banque des banques » ou les banques privées ? Contre l’infortuné chauffeur du Ministre ? Mon patron de Ministre a néanmoins consenti à ce que je négocie le journal au prix moitié. Ce que j’ai réussi à obtenir après d’âpres négociations avec le petit vendeur. J’ai vu, avec humiliation, le petit enfoiré sautiller de joie en empochant ses dollars, ravi d’avoir roulé un patron en-haut-d’en-haut.
Lorsque je suis rentré au Cabinet ministériel, j’ai trouvé mon patron sur le pas de la porte de sortie. Le temps de m’arracher le journal des mains, mon patron s’engouffrait dans la voiture officielle et m’ordonnait de le conduire au centre-ville.
Mon patron de Ministre tenait à vérifier de ses propres yeux, sur le marché même, la danse ndomboleuse et mata-kita du dollar tropicalisé. A notre grande surprise, tous les magasins et autres ligablos étaient toujours fermés, et l’on pouvait lire sur les portails de certains d’entre eux des graffiti du genre : « Wanted Dollar ! ». Ou : « Mr. Dollar recherché. Forte récompense à qui mettra la main sur lui, mort ou vif ! » Ou encore : « Dollar… K.O. ! ». Mon patron de Ministre trouvait la farce de très mauvais goût.
Il s’est ensuite dirigé vers le quartier des bongolateurs et autres changeurs au noir. Une autre surprise nous y attendait : ici c’était le sauve-qui-peut, la débandade, le… K.O ! Devant mon patron de Ministre éberlué, des policiers s’étaient lancés aux trousses des bongolateurs, au nom de la guerre contre l’inflation. Ils étaient tellement zélés, ces policiers, qu’ils ont donné l’impression à mon patron de Ministre d’être à la poursuite non pas vraiment des bongolateurs, mais de leurs dollars inflationnés, comme butin et trésor de guerre…
Yoka Lye
andreyokalye@yahoo.fr