Fête de la musique à la Kinoise
Par Le Potentiel
Comme on sait, dimanche passé, c’était la fête de la musique à travers le monde. Notre capitale s’est mise aussi à l’air du monde ; et pendant une journée on a renvoyé aux oubliettes les soucis quotidiens et on s’est éclaté. Mon patron, le Ministre des Affaires stratégiques (à prononcer avec respect…) a été invité à un concert de jeunes musiciens. Il a accepté volontiers l’invitation pour échapper, lui aussi, à la déprime ambiante. Ah ! pour mon patron, l’air est de plus en plus pollué en ce moment dans la capitale, avec une primature, paraît-il, obèse et donc dans l’œil du cyclone ; avec les rumeurs étouffantes de remaniement, avec le dollar en ndombolo vertigineux, avec les mêmes prophéties d’apocalypse à l’Est du pays, avec la danse-hésitation de l’opposition partagée entre les épreuves de douleur infligées par la Cour pénale de La Haye et une position d’opposition en équilibre instable, avec une majorité carnassière à l’affût et déjà à l’assaut de la primature… Non, mon patron a choisi son camp ce dimanche, en dehors des tourbillons politicailleurs : c’est celui des jeunes, en plein quartier en-bas-d’en-bas, au milieu des « kulunas », des adeptes de la religion « kitendi » et autres «salomons »…
Naturellement, pour ce genre d’expéditions originales, je sers de guide éclairé et tous terrains. Mon patron a choisi de se mettre à l’air du jour et du temps : il est en jean’s multipoches, tee-shirt, mocassins, chapeau de cow-boy. Bien entendu, j’ai fait autant, avec ceci de particulier qu’il faut adapter la tenue à la démarche ; et donc j’ai appris à mon patron de Ministre la dernière démarche à la mode, moitié caneton moitié paon, un peu comme un bateau en tangage ! Il a suffi de deux séances de répétitions clandestines dans l’annexe arrière de sa résidence pour que mon patron soit au top du look, cool et fashion !
Nous voici donc au quartier en-bas-d’en-bas. Ah ! que je suis fier de mon patron de Ministre : il est au taux du jour, fier comme un coq, et fringant comme un jeune premier. Nous sommes accueillis par un brouhaha d’enfer et une bousculade digne d’une émeute, sauf qu’ici c’est bon enfant. Et comme l’accès dans ces ruelles tortueuses est impossible avec la voiture, nous l’avons garée loin sur la grande avenue et cheminons à pied. Aussitôt nous sommes submergés par la foule folle ; et mon patron de Ministre perd un tout petit peu de sa prestance. Je suis obligé de jouer du biceps pour le dégager des enkakements. Finalement, les organisateurs reconnaissent quand même mon patron de Ministre, et il se fait applaudir en traversant la cohue. C’est le triomphe ! Mon patron de Ministre est aussitôt porté en tipoy comme un chef coutumier, jusqu’au haut du podium. Encore des applaudissements frénétiques ! Et tout ça toujours au milieu d’un tintamarre de musique.
Une fois nous tous sur la tribune, suivent les discours de circonstance des organisateurs, mais en une langue hybride, entre le ki-français et le lingala-indoubill. C’est à peine si mon patron de Ministre comprend, mais il fait semblant. Même moi, habitué de ces incongruités linguistiques, je ne suis pas vraiment à la page pour ainsi dire. Je déchiffre approximativement des énigmes et des borborygmes comme « Bino ba presos bo mbasu-niser ba-peuple » («Vous les dignitaires, vous avez clochardisé la population »). Ou encore : « Awa idologi ya mapendo ekufa » («Chez nous, l’amour est mort »). Ou enfin : «Solola kaokokokorobo » (« Parlez toujours vrai »).
Et toujours la même musique tonitruante, au point qu’entre le Ministre et moi, nous hurlons à tue-tête pour converser. Mais entretemps, quelle faune devant nous ! Un vrai défilé de mode des sapeurs : cheveux à ras ou défrisés avec boucles d’oreilles et de lèvres pour les …garçons ; blouses-bodies raccourcies jusqu’au nombril avec des tatouages au pubis et des slips à découvert pour les… filles. Mon patron de Ministre semblait désemparé comme prisonnier dans une cage de fauves.
…Puis vint le tour de mon patron de Ministre de prononcer son discours de circonstance aux jeunes. Le Ministre s’est d’abord tourné vers moi pour savoir en quelle langue parler. Je lui ai soufflé à l’oreille: « Excellence, surtout pas le français ici. Ni le lingala d’ailleurs ! Parlez en votre langue maternelle : ils ne comprendront rien, mais apprécieront.» Mon patron de Ministre, pris d’une inspiration divine, a fait mieux : en guise de discours, il s’est mis à fredonner une vieille berceuse de son village natal. La foule était en délire !
YOKA LYE
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