jeudi 12 novembre 2009

Confidences de chauffeur de ministre

Le retour des confidences de YOKA LYE (Merci papa Hervé!) pour ne pas oublier nos amis congolais!!

Tous Sinistrés !

Par Le Potentiel

Sinistré. Comme réfugié. Comme refoulé. Comme maudit. Kipulu est sinistré et je l’ai dit à mon patron, le Ministre des Affaires stratégiques (à prononcer avec respect…). J’ai dit à mon patron de Ministre que Kipulu est mon voisin de quartier, mais en-bas-d’en-bas, là où se sont accumulées les érosions. Kipulu est aussi presqu’un collègue puisqu’il est aussi un chauffeur, mais de … de taxi. Kipulu a huit enfants et il habite aux abords de la rivière «Sala-ngolo-zaku». Ici, dans ce quartier en-bas-d’en-bas affalé sur le lit de la rivière, les nuits de pluie sont des nuits blanches. Pendant que sur la ville huppée, à Binza, Limete, Gombe, Righini, la musique de la pluie berce les fils à papa et chante les rêves des filles à maman, Kipulu, sa femme et ses huit enfants ont des cauchemars en habits de pauvres diables traqués par la peur. Kipulu et sa femme savent à peine lire et écrire, mais ils savent compter les moindres gouttes de pluie sur le toit, contre la porte et la fenêtre, comme on compte les coups durs… A Binza, à Limete, à Gombe , les fils à papa et les filles à maman se réveillent en sursaut paniqués bêtement par les coups de tonnerre. Kipulu et sa famille n’ont pas peur des coups de tonnerre. Le tonnere est si loin ; et il ne frappe pas à n’importe quelle porte. Le tonnerre, pour Kipulu, est la chose la plus démocratique : il ne frappe pas par hasard ; il choisit certes qui il punit et pourquoi ; mais il punit indistinctement le toit du riche comme celui du pauvre. C’est pourquoi Kipulu n’a pas peur du tonnerre. Lui a peur de l’eau, suintante, lancinante, pénétrante, mortelle. Comme les larmes de femmes. Binsonji bia bakaji !

J’ai raconté à mon patron de Ministre que l’autre nuit du mardi 03 novembre , Kipulu s’est réveillé comme toujours en pareil cas d’orage, lentement, posément. Avec les mêmes gestes mous, mécaniques, fatals. Kipulu a réveillé femme et enfants. Eux aussi, avec les mêmes gestes exercés comme sous l’alerte d’une bombe, ont commencé à ranger leurs menus trésors et à s’abriter au-dessus de la table et de l’armoire. Or le grand trésor était resté dehors : le taxi. Il fallait vite dégager le vieux tacot pour le garer tout aussi rapidement sur la grande avenue, près de la pompe d’essence. Mais la route n’a jamais été aussi longue de la bicoque jusqu’à la pompe d’essence. Le mardi doit être un mauvais jour, puisque ce jour-là Dieu lui-même a semblé être surpris. Kipulu n’est pas parvenu à dégager le vieux taxi, et le véhicule est resté coincé puis englouti dans la boue dévalante. Plus grave : un enfant s’est noyé ! Mais Kipulu ne l’a su qu’après la pluie, au moment de faire les comptes. Le benjamin manquait à l’appel, sans doute parce qu’il ne s’est pas trouvé assez de place sur l’armoire ou sur la table, pour se mettre à dix au -dessus des flots mouvants. Après la pluie et le désastre, Kipulu a aussi compté qu’il lui manquait sa radio, de vieux bijoux de sa femme et un peu d’économies. Qui a encore dit qu’après la pluie c’est le beau temps. Kipulu a regardé longtemps, longtemps le firmament, cherchant vainement un trait de bonté divine ; il n’y a vu qu’un long arc-en-ciel de feu et de sang. Kipulu est allé pleurer sous la pluie pour cacher à sa rage à sa femme et à ses enfants. Mais à quoi sert-il de pleurer, se disait-il finalement, de la même façon chaque année à la même période ? Il devinait même la suite des événements : d’ici peu, quand le ciel deviendra clair et serein, les autorités du quartier, le député du quartier, en grande pompe, viendront verser sur les pauvres têtes de pauvres sinistrés des larmes protocolaires et furtives. Ils seront escortés par la horde des journalistes. Et devant les caméras braquées, ces autorités diront des banalités et referont les promesses mille fois entendues, puis disparaîtront jusqu’à la prochaine saison…

Oui, j’ai raconté à mon patron de Ministre que mon voisin d’en-bas-en-bas, Kipulu est sinistré . Sinistré comme réfugié. Comme refoulé. Comme maudit. Qui a encore inventé l’expression «dormir à la belle étoile» ? Kipulu ne connait pas de belles étoiles. Au -dessus de sa tête, ce sont des trous noirs qui criblent le ciel comme des impacts de grenades.

J’ai fini par dire encore à mon patron de Ministre qu’au fond nous sommes tous sinistrés, nous en-bas-d’en-bas. Nous sommes de vrais sinistrés en impuissance. Sinistrés d’hier comme Kipulu et sa famille. Sinistré de demain. Demain ce sera pareil : en 2015, en 2025, en 2045. Ce sera un mardi. Le mauvais jour…


YOKA LYE

ANDREYOKALYE@YAHOO.FR

vendredi 26 juin 2009

Partir un jour, sans retour...

Aurevoir RDC, aurevoir amis d'un jour, d'un mois ou d'une année...
Bonne continuation et bon courage pour la suite...


MERCI pour ces milliers d'instants de découverte, de rencontre et de bonheur!

jeudi 25 juin 2009

Confidences de chauffeur de ministre


Fête de la musique à la Kinoise


Par Le Potentiel


Comme on sait, dimanche passé, c’était la fête de la musique à travers le monde. Notre capitale s’est mise aussi à l’air du monde ; et pendant une journée on a renvoyé aux oubliettes les soucis quotidiens et on s’est éclaté. Mon patron, le Ministre des Affaires stratégiques (à prononcer avec respect…) a été invité à un concert de jeunes musiciens. Il a accepté volontiers l’invitation pour échapper, lui aussi, à la déprime ambiante. Ah ! pour mon patron, l’air est de plus en plus pollué en ce moment dans la capitale, avec une primature, paraît-il, obèse et donc dans l’œil du cyclone ; avec les rumeurs étouffantes de remaniement, avec le dollar en ndombolo vertigineux, avec les mêmes prophéties d’apocalypse à l’Est du pays, avec la danse-hésitation de l’opposition partagée entre les épreuves de douleur infligées par la Cour pénale de La Haye et une position d’opposition en équilibre instable, avec une majorité carnassière à l’affût et déjà à l’assaut de la primature… Non, mon patron a choisi son camp ce dimanche, en dehors des tourbillons politicailleurs : c’est celui des jeunes, en plein quartier en-bas-d’en-bas, au milieu des « kulunas », des adeptes de la religion « kitendi » et autres «salomons »…


Naturellement, pour ce genre d’expéditions originales, je sers de guide éclairé et tous terrains. Mon patron a choisi de se mettre à l’air du jour et du temps : il est en jean’s multipoches, tee-shirt, mocassins, chapeau de cow-boy. Bien entendu, j’ai fait autant, avec ceci de particulier qu’il faut adapter la tenue à la démarche ; et donc j’ai appris à mon patron de Ministre la dernière démarche à la mode, moitié caneton moitié paon, un peu comme un bateau en tangage ! Il a suffi de deux séances de répétitions clandestines dans l’annexe arrière de sa résidence pour que mon patron soit au top du look, cool et fashion !


Nous voici donc au quartier en-bas-d’en-bas. Ah ! que je suis fier de mon patron de Ministre : il est au taux du jour, fier comme un coq, et fringant comme un jeune premier. Nous sommes accueillis par un brouhaha d’enfer et une bousculade digne d’une émeute, sauf qu’ici c’est bon enfant. Et comme l’accès dans ces ruelles tortueuses est impossible avec la voiture, nous l’avons garée loin sur la grande avenue et cheminons à pied. Aussitôt nous sommes submergés par la foule folle ; et mon patron de Ministre perd un tout petit peu de sa prestance. Je suis obligé de jouer du biceps pour le dégager des enkakements. Finalement, les organisateurs reconnaissent quand même mon patron de Ministre, et il se fait applaudir en traversant la cohue. C’est le triomphe ! Mon patron de Ministre est aussitôt porté en tipoy comme un chef coutumier, jusqu’au haut du podium. Encore des applaudissements frénétiques ! Et tout ça toujours au milieu d’un tintamarre de musique.


Une fois nous tous sur la tribune, suivent les discours de circonstance des organisateurs, mais en une langue hybride, entre le ki-français et le lingala-indoubill. C’est à peine si mon patron de Ministre comprend, mais il fait semblant. Même moi, habitué de ces incongruités linguistiques, je ne suis pas vraiment à la page pour ainsi dire. Je déchiffre approximativement des énigmes et des borborygmes comme « Bino ba presos bo mbasu-niser ba-peuple » («Vous les dignitaires, vous avez clochardisé la population »). Ou encore : « Awa idologi ya mapendo ekufa » («Chez nous, l’amour est mort »). Ou enfin : «Solola kaokokokorobo » (« Parlez toujours vrai »).


Et toujours la même musique tonitruante, au point qu’entre le Ministre et moi, nous hurlons à tue-tête pour converser. Mais entretemps, quelle faune devant nous ! Un vrai défilé de mode des sapeurs : cheveux à ras ou défrisés avec boucles d’oreilles et de lèvres pour les …garçons ; blouses-bodies raccourcies jusqu’au nombril avec des tatouages au pubis et des slips à découvert pour les… filles. Mon patron de Ministre semblait désemparé comme prisonnier dans une cage de fauves.


…Puis vint le tour de mon patron de Ministre de prononcer son discours de circonstance aux jeunes. Le Ministre s’est d’abord tourné vers moi pour savoir en quelle langue parler. Je lui ai soufflé à l’oreille: « Excellence, surtout pas le français ici. Ni le lingala d’ailleurs ! Parlez en votre langue maternelle : ils ne comprendront rien, mais apprécieront.» Mon patron de Ministre, pris d’une inspiration divine, a fait mieux : en guise de discours, il s’est mis à fredonner une vieille berceuse de son village natal. La foule était en délire !



YOKA LYE

ANDREYOKALYE@YAHOO.FR

vendredi 19 juin 2009

J-7...


1 semaine, 1 dernière sur 40...

7 jours pour vendre la jeep; la fontaine, préparer les conseils de classe et l'ultime réunion de parents.


7 jours poue partager nos derniers instants congolais dont, ce week-end, le mariage de Ramelle et Florent (diaporama de son enterrement de vie de garçon en bas de l'article), quelques verres à Bon Marché avec Charly, Franck, Bico et Kallo, recevoir encore une fois les antiquaires, Jean, Samuel, Albert et Jean-Pierre, et profiter encore d'un repas avec Papa Laurent et Esther qui nous ont soignés pendant ces dix mois.

Mais c'est encore 7 jours à vous attendre, à s'impatienter. 7 journées constamment divisées entre spleen et réjouissance...

Les départs n'ont jamais été mon for, les adieux encore moins.

Les retrouvailles seront fortes et belles mais comment pourrons-nous réaliser tout ce que nous allons laisser ici?

Kinshasa, capitale des paradoxes, de la misère et de la joie d'être en vie. Kin, mégapole indélébile!




jeudi 11 juin 2009

Quelques fragments de Kinshasa...

En vrac, voici quelques clichés de la ville de Kinshasa. Ses rues, ses commerces, ses habitants.

Les photos parlent d'elles-mêmes. Et, tout comme les jeunes générations de kinois, nous regrettons de ne pas avoir connu Kin-la-Belle...

Voici donc un petit diaporama et le lien vers l'album dans lequel vous trouverez aussi différentes vidéos.





Bonne journée à vous!

samedi 6 juin 2009

Confidences de chauffeur de ministre


ALLÔ, S.S. PROPHETE SIMON KIMBANGU ?

Par Le Potentiel


Confusion de dates dans la tête de mon patron, le Ministre des Affaires stratégiques ! Le pauvre, il s’est sûrement réveillé de pied gauche, et n’a apparemment aucune notion de temps. La confusion s’est encore compliquée le 25 mai dernier, «Jour de Noël » auto-proclamé des Kimbanguistes. En roulant à travers la ville, nous avons croisé d’immenses colonnes d’adeptes en vert-blanc chantant et dansant la naissance du premier Prophète noir. Mon patron de Ministre ne comprenait plus rien, et a fait confirmer auprès de moi la vraie version. Je lui ai expliqué que les Kimbanguistes sont jusqu’au-boutistes : ils ont désormais aligné sur le même diapason protocolaire et dogmatique Jésus de Nazareth et Kimbangu de Nkamba.

Donc désormais les chrétiens ont leur 25 décembre ; et les kimbanguistes ont leur 25... mai ! Ce qui a évidemment rendu furieux les Catholiques qui ont retiré leur solidarité chrétienne aux ex-frères en Christ. D’ailleurs les Kimbanguistes eux-mêmes semblent très embarrassés et ne savent plus à quel saint se vouer, et si le Christ reste toujours leur Sauveur…

De toutes les façons, au nom d’une Eglise africaine dynastique, les héritiers ont commencé à s’étriper pour des raisons inavouables de pouvoir et de fric! Mon patron de Ministre écoutait tout ça avec un mélange d’étonnement et de déception, lui qui vouait tant de respect à Simon Kimbangu. Il a donc pris une très grave décision: demander directement, à partir du Ciel, l’avis du fondateur du kimbanguisme, à travers l’interview exceptionnelle d’un journaliste exceptionnel qui est en contact exceptionnel, on ne sait comment, avec le Ciel. Il a suffi donc que mon patron de Ministre entre en contact avec ce fameux journaliste très introduit au Ciel pour obtenir de première main cette interview exclusive. Il avait fallu auparavant au fameux journaliste, se servant de son entregent, pour obtenir l’adresse personnelle du Prophète au ciel et lui adresser un mail : s.kimbangu@lola.cd. (ndlr: lola = paradis en lingala) L’on comprend pourquoi, il s’est passé beaucoup de jours depuis le 25 mai, avant la présente publication. Difficile de joindre le Ciel par téléphone ou par e.mail à partir de notre pays : les lignes et les voies du Seigneur y sont particulièrement insondables…

Voici l’interview de Sa Sainteté :

Journaliste : , Sainteté, merci infiniment d’avoir accepté de répondre à notre interview malgré vos nombreuses occupations là-haut-d’en-haut au Ciel. A propos, à quoi occupez-vous le temps éternel ? Vous ne vous ennuyez pas ?

S.S.S. Kimbangu : Que Dieu vous bénisse, mon fils. Comment pourrait-on s’ennuyer à droite de Dieu le Père. Ici le temps n’est pas le temps ; tout s’écoule en bonheur, en splendeur, en prière, en extase, en providence ! Alléluia !

Journaliste : S.S.S, vous reconnaissez-vous comme fondateur de l’Eglise du Christ sur la terre pour le Salut des Noirs, le kimbanguisme ?

S.S.S : De mon vivant, je n’ai jamais fondé d’Eglise. Cette initiative, louable sans doute, est l’œuvre de mes frères et sœurs en Christ. Ce sont eux qui détiennent le brevet d’invention.. Dommage qu’ils se tuent pour les droits d’auteur ! Alléluia !

Journaliste : S.S.S, justement ! Que vous inspirent toutes ces querelles de vos héritiers ? S.S.S (sanglots) : Ah ! Ne m’en parlez pas. J’en souffre terriblement. J’ai déjà souffert le premier jour quand ils ont décidé de se passer le pouvoir en mon nom et à tour du rôle héréditaire. On aurait pu demander mon avis ! Que Dieu leur pardonne, Alléluia !

Journaliste : S.S.S, et que pense le Christ de tout ça, de toutes ces dissensions fratricides, de la Noël délocalisée ? S.S.S : Hm ! L’autre matin, j’ai croisé dans les couloirs mon frère Jésus, et il m’a dit son étonnement sur toutes ces divergences de nos naissances respectives. Quelle foutaise ! Cela donnait la lamentable impression d’une course au pouvoir. Or, tout le monde sait que je n’ai pas l’âme putschiste. Sinon j’aurai pu faire basculer le pouvoir colonial qui m’a tant malmené à l’époque. Alléluia !

Journaliste : Avez-vous l’occasion de rencontrer souvent les Présidents Kasa-vubu, Mobutu, Kabila, le Premier ministre Lumumba, les Cardinaux Malula et Etsou, les Roi Léopold II et Baudouin ? Que vous dites-vous ? S.S.S : Oui, bien sûr, nous nous rencontrons souvent. L’autre soir, on a même partagé le cocktail dinatoire ensemble. Belle ambiance, mais traversée de temps en temps quand même par des lueurs de tristesse à voir le spectacle chez vous les pécheurs en-bas-d’en-bas. On dirait que l’horloge du temps s’est enrayée là-bas ! L’autre jour, Dieu le Père excédé, a menacé d’envoyer les 60 millions de Congolais en enfer, si la java continuait…

Mais chacun d’entre nous ici est formel, y compris les Belges Léopold et Baudouin : s’il fallait recommencer, aucun d’entre nous ne referait ce qu’il avait fait avant. C’est d’ailleurs pourquoi, on s’entend bien. Nous avons même créé une ONG célesto-humanitaire pour vous là-bas ; elle est présidée par l’artiste Luambo Franco-de-mi-amor…Alléluia !

YOKA LYE

ANDREYOKALYE@YAHOO.FR